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Michel Larroche

BLEU OUTREMER. RECETTE N° 5

Nom usuel : Lapis-lazuli, bleu outremer, ultramarinum.
Nom vernaculaire : Azur d'Acre, pierre d'azur.
Origine du nom : Du latin lapis pour pierre et lazuli pour azur. Génitif du latin médiéval lazulum, emprunt de l'arabe populaire lâzurd, de l'arabe classique lazaward, emprunt au persan lâzward dont est issu azur.
Domaine : Minéral
Origine géographique : Afghanistan région du Pamir, mines de Kokcha et de Sar-e-Sang, vallée du Badakhstan.
Principe colorant : Lazurite.
Formule chimique : [Na, K, Ca]8-x [SO4, S, Cl]1-y [(Alz Si1-z O4)6].

Manuscrit source : Il Libro dell'Arte XIV-XVe s.
Auteur : CENNINO CENNINI D'ANDRÉA

Le bleu d'Outremer est une couleur noble, belle, vraiment parfaite, plus que toutes les autres ; elle surpasse ce que l'on pourrait en dire (ou en faire). Etant donné son excellence, je veux en parler longuement et t'expliquer en détail comment on la fait. Ecoute bien, car tu en tireras grand honneur et profit. Et cette couleur combinée avec l'or (qui embellit tous les travaux de notre art), resplendit partout sur mur ou sur panneau. Tout d'abord, prends du lapis-lazuli, et si tu veux reconnaître la meilleure pierre, choisis celle qui te paraît la plus riche en bleu, car elle est toute mêlée comme de la cendre. Celle qui présente le moins cette couleur cendrée est la meilleure. Mais prends garde que ce ne soit pas la pierre d'azur d'Allemagne, qui est si belle à l'oeil et 

qui ressemble au smalt. Ecrase-la dans un mortier de bronze couvert pour qu'elle ne s'en aille pas sous forme de poussière ; mets-la ensuite sur ta pierre de porphyre et écrase-la sans eau ; prends alors un tamis couvert comme les apothicaires, pour passer les épices ; tamise et écrase à nouveau autant qu'il le faut. Et ne perds pas de vue que plus tu la broies finement, plus le bleu devient léger mais pas d'un ton aussi joliment intense. Il est bien vrai que la qualité la plus fine est plus utile aux miniaturistes et pour faire des vêtements avec des rehauts. Quand la poudre est prête, prends chez les apothicaires 6 onces de résine de pin1, 3 onces de mastic2 , 3 onces de cire neuve3, pour chaque livre de lapis-lazuli ; mets toutes ces choses dans une petite marmite neuve et fais-les fondre ensemble. Prends ensuite un morceau de lin blanc et passe le tout dans une cuve vitrifiée. Prends alors 1 livre de cette poudre de lapis-lazuli ; mélange bien tout ensemble et fais-en une pâte où tout est bien incorporé. Pour pouvoir manier cette pâte, prends de l'huile de graines de lin4, et garde tes mains toujours bien graissées au moyen de cette huile. Il faut que tu conserves cette pâte au moins 3 jours et 3 nuits, en la pétrissant chaque jour un peu ; et ne perds pas de vue que tu peux le conserver (le lapis-lazuli) dans cette pâte 15 jours, 1 mois, autant que tu veux. Quand tu désires en extraire le bleu, suis cette méthode: fais deux baguettes, à partir d'un

bâton solide, ni trop gros, ni trop fin; que chacune ait un pied de long, qu'elles soient bien arrondies, en haut et en bas et bien polies. Prends alors ta pâte dans la cuvette vitrifiée où tu l'as conservée ; mets dedans à peu près une écuelle de lessive modérément chaude ; avec ces deux baguettes, une dans chaque main, retourne, presse et malaxe cette pâte, d'un côté et de l'autre, comme on pétrit la pâte à la main pour faire du pain, exactement de la même façon. Quand tu l'as fait jusqu'à ce que tu voies que le lessive est d'un bleu parfait, transvase-la dans une écuelle vitrifiée ; puis prends la même quantité de lessive et verse-la sur la pâte et malaxe avec les baguettes comme précédemment. Quand la

lessive est redevenue bien bleue, verse-la dans une autre écuelle vitrifiée et remets, sur ta pâte, la même quantité de lessive et presse à nouveau de la même façon. Fais de même plusieurs jours jusqu'à ce que la pâte ne colore plus la lessive ; alors jette-la car elle n'est plus bonne. Mets ensuite, devant toi, sur une table, toutes ces écuelles dans l'ordre, c'est-à -dire, le premier, le second, le troisième, le quatrième extrait disposé chacun dans l'ordre ; mélange avec ta main la lessive et le bleu qui sera tombé au fond à cause de son poids ; tu connaîtras alors les extraits de ce bleu. Décide combien d'espèces de bleus tu veux, trois, quatre, six, autant que tu voudras. Sache que les premiers extraits sont les meilleurs, comme la première écuelle

est meilleure que la seconde. Ainsi si tu as dix-huit écuelles, avec de l'extrait etsi tu veux obtenir trois sortes de bleu, prends six écuelles, mélange-les et n'en fais qu'une écuelle : cela fera une sorte de bleu. Fais la même chose avec les autres. Mais souviens-toi que si tu as du lapis-lazuli de bonne qualité, le bleu des deux premiers extraits vaudra huit ducats, l'once. Les deux derniers sont pires que de la cendre ;  aussi que ton ½il apprenne à ne pas gâter les bleus de bonne qualité à cause des mauvais. Et chaque jour, égoutte la lessive hors des écuelles, jusqu' à ce que les bleus soient secs. Quand ils sont bien secs, mets-les dans du cuir ou dans des vessies ou dans des bourses, selon les divisions que tu as faites. Et note ceci: si la

pierre de lapis-lazuli n'est pas si parfaite ou si tu as broyé cette pierre de telle façon que le bleu ne soit pas intense, voici comment lui donner un peu de couleur. Prends une petite quantité de graine d'écarlate écrasée et de bois du Brésil; fais-les cuire ensemble ; mais râpe le bois ou racle-le avec du verre ; Puis fais-les cuire avec de la lessive et un peu d'alun de roche ; et quand cela bout, tu vois que tu obtiens un rouge cramoisi parfait. Avant de retirer le bleu de l'écuelle (mais une fois qu'il est bien sec et débarrassé de la lessive) verse dessus un peu de cette graine d'écarlate et de ce bois du Brésil ; avec le doigt, mélange le tout bien ensemble ; et laisse reposer jusqu'à ce que ce soit sec, sans être exposé au soleil, au feu ou à l'air. Quand tu vois qu'il est sec, mets-le dans du cuir ou dans une bourse et laisse-le en paix, car il est bon, parfait. Garde cela pour
toi, car il faut une singulière habileté pour bien savoir le faire. Et sache que cet art convient mieux aux belles jeunes filles qu'aux hommes; car elles restent continuellement à la maison; elles sont persévérantes et ont les mains plus délicates. Méfie-toi seulement des vieilles femmes.

Notes :
1- Résine de pin.
Colophane et essence de térébenthine. 

2- Résine mastic.
Résine balsamique produite par le lentisque Pistacia lentiscus de Linné. 

3- Cire neuve.
Cire d'abeilles la plus pure possible. 

4- Huile de graines de lin.
Liant pour les pigments de peinture, agent de cohérence et huile siccative. 

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